Parcours : elle plaque tout pour vivre sur un voilier
Je crois que c’est la première fois que je publie ici l’histoire d’une amie, une amie d’enfance. Emmanuelle fait partie de ma vie d’avant : comprenez avant la mort de mon père. Il y a longtemps donc parce que je n’avais que 17 ans. Comme beaucoup d’amis d’enfance, nous nous sommes perdues de vue et je ne sais plus exactement comment, je me rappelle qu’elle m’a retrouvée, nous travaillons alors toutes les deux sur Paris. Je me rappelle des soirées que nous passions dans son petit appartement sous sa mezzanine qu’elle changeait souvent de place.
Elle était venue à mon mariage et nous nous sommes ensuite encore perdue de vue. Notre dernier échange sur Facebook date d’il y a plus de 10 ans et cet été, Emmanuelle a repris contact avec moi entre deux ports, quelques îles désertes et moins désertes et cela m’a fait un plaisir fou. Mon amie d’enfance vit désormais une vie minimalisme, précaire même dit-elle mais tous les jours elle en prend pas les yeux et jouit d’une liberté presqu’à l’état pure… Après plusieurs échanges, des nouvelles de sa famille, de la mienne, la découverte de son nouveau mode de vie, bien loin de son habitat et de son job parisiens, je me suis dit que son histoire avait toute sa place ici, sur ce blog, alors prêt.e à voyager ? On part sur un voilier entre l’équateur et les Tropiques (et j’ai déjà cette chanson de Gilbert Montagné que j’adore dans la tête…)
1. Tu es née en Normandie, tu as travaillé à Paris et tu as vécu une bonne partie de ta vie sur l’eau, entre les îles au 4 coins du monde. Comment es-tu partie ? Pourquoi
J’ai travaillé une dizaine d’années à Paris, et comme beaucoup, je passais mes journées dans les transports en commun et devant un ordinateur. J’avais ce que beaucoup de gens recherchent, c’est-à-dire une sécurité financière et un confort matériel à l’occidentale (logement, CDI et congés payés).
En réalité je ne m’épanouissais pas et aspirais à tout autre chose. J’étais pleine de curiosité et d’envies (voyager, créer, partager, échanger) malgré que je dépensais mon énergie dans une routine qui était totalement l’inverse.
J’ai sauté le pas pour le changement l’année de mes 33 ans. Honnêtement je ne savais pas comment procéder, je n’avais pas d’exemple de mode de vie alternatif autour de moi, mais j’étais décidée à le trouver coûte que coûte.
J’ai alors quitté mon job et rejoins des amis pour quelques semaines de sac à dos en Asie puis finalement mon frère qui venait de s’installer en Polynésie Française.
Mon objectif était de m’oxygéner, de rencontrer de nouvelles personnes, de voir ce qu’il y avait ailleurs. Pas de programme précis. C’est l’enchevêtrement des choix et des rencontres pendant le voyage qui m’a ouvert à de nouveaux horizons. C’est à partir de ce moment là de ma vie où, pour la première fois, je me suis sentie libre.
2.Tu as donc fait le choix d’une vie précaire alors qu’en Europe c’est la course au salaire et le confort matériel qui prime, comment expliques tu ton choix à contre courant ?
Il y a un sentiment agréable d’autosuffisance et d’indépendance procuré par le détachement aux choses matérielles.
Je vis sur un voilier, naviguant autour du monde, et grâce auquel nous pouvons jeter l’ancre le plus souvent en retrait des zones urbaines, nous ne sommes donc pas ou peu sollicités par les commerces et les médias.
Nous naviguons dans l’hémisphère sud, entre l’équateur et les tropiques, nous n’avons pas besoin de nous chauffer. Nous produisons notre propre énergie grâce à l’éolienne et aux panneaux solaires.
Nous n’avons ni réfrigérateur mais nous pêchons notre poisson du jour, et quand ils sont disponibles nous mangeons les fruits et légumes locaux (noix de coco, bananes, mangues, fruit de l’arbre à pain, taro…)
Nous n’avons pas de douche ni de dessalinisateur (1) mais nous récoltons l’eau de pluie.
Nous ne sommes certes pas riches mais nous sommes heureux ainsi.
Tout me paraît plus simple qu’auparavant en Europe, le quotidien a enfin du sens, j’en tire un bien-être et un équilibre de vie.
Bien sûr il y a aussi des périodes moins aisées, comme lorsqu’il y a de la casse, du mauvais temps … Mais à chaque coucher de soleil je peux dire que « ça en vaut largement la peine ».
3. Des paysages à couper le souffle, des plages désertes, des océans sans fin, comment vis tu ce calme quotidien et cette solitude loin de la société ?
J’ai l’impression que les journées passent toujours trop vite. On est souvent 4 à 7 personnes à bord. Cela varie selon les pays et mouillages, mais dans l’ensemble une journée type débute avec un petit-déjeuner commun, puis on va nager et observer les fonds marins, pêcher au fusil harpon ou faire du kayak, de la voile avec la pirogue… Puis arrive le temps de cuisiner et de partager un déjeuner. Les après-midis peuvent être sportifs ou créatifs, on joue de la musique, dessine, peint, écrit, lit…
Je me couche et me lève généralement tôt car je suis naturellement le rythme de la lumière.
Le bateau demande beaucoup d’entretien et c’est quasi quotidiennement qu’avec Tom, mon compagnon et capitaine de Karaka, on liste les choses à faire ou à réparer.
Nous avons restauré nous-mêmes, et avec l’aide d’amis de passage, le bateau en Malaisie en 2017 (sablage, tapage de rouille, découpe et soudure des plaques d’acier, enduits, peintures, anti-fouling, etc…). Pendant des mois nous avons travaillé sur le chantier pour pouvoir remettre à l’eau le bateau.
Le fait de vivre loin des commerces, souvent sans internet, nous invite à creuser nos méninges, à être créatif mais aussi pratique. On recycle, repense, adapte, invente, fabrique… Bref, il y a toujours quelque chose à faire à bord, c’est impossible de s’ennuyer !
Souvent lorsque l’on revient vers la ville il y a contradiction, j’ai l’appréhension de retrouver internet, d’avoir accès aux supermarchés, aux nouvelles du monde… et à la fois je suis contente de pouvoir prendre et donner des nouvelles à la famille/amis, d’aller au marché, m’offrir une boisson fraîche…
4. Tu vis avec ton compagnon sur un bateau pas tout à fait comme les autres ? Quel est en son but ? A quoi sert-il ? Quelles personnes accueillez-vous à bord ?
Karaka est un ketch de 16,5 m en acier construit en Nouvelle-Zélande, en 1976. Tom et moi vivons en permanence sur le bateau, avec Plume notre chatte. Nous accueillons régulièrement des équipiers qui souhaitent découvrir la vie à bord.
Le projet vient de Tom qui a trouvé le bateau, en 2004, abandonné à Hong-Kong. Il était à 3 jours d’une destruction programmée. Tom a aussitôt contacté le propriétaire qui lui a vendu pour 1$ symbolique. Après l’avoir retapé plusieurs mois, Karaka embarqua son premier équipage le 11 septembre 2004.
Le but est de créer une petite communauté itinérante sur l’eau, de partager et faire découvrir ce mode de vie alternatif.
Peu importe la nationalité, le cursus, le niveau social, ou l’âge de la personne, c’est l’état d’esprit qui importe.
5. Pourquoi et à qui recommanderais tu un voyage à bord ?
Je recommanderais l’expérience « Karaka » à ceux qui aiment bien évidemment l’eau, la nature, aux artistes voyageurs, aux sportifs aventureux, à ceux qui veulent faire un break et prendre le temps de vivre de nouvelles aventures…
Il n’y a en réalité pas de profil type mais ce qu’il faut c’est de l’énergie et être déjà intéressé par la vie sur un voilier car cela ne convient pas à tout le monde. Il ne faut pas s”imaginer venir « en croisière ». Le voyage n’est pas linéaire.
Il y a les moments relax tels que l’accès à des mouillages sur des plages sauvages, celui de pouvoir plonger et observer sans limite la faune et la flore sous-marine, d’explorer et de randonner loin des sentiers battus, de rencontrer et d’échanger avec des villages traditionnels.
Mais il y a aussi des contraintes comme l’entretien du bateau, la mauvaise météo, des navigations parfois épuisantes, la vie à plusieurs et en promiscuité.
L’espace est restreint et il faut savoir vivre à plusieurs, il y a peu ou pas d’espace privé. La communication avec les uns et les autres est primordiale. Les personnalités et les expériences de vie, les apports culturels de chacun nous amènent à réfléchir quant aux éventuelles différences : visions de la vie, du bonheur, de la réussite, du bien et du mal… On discute, en débat, on s’enrichit.
Nous naviguons autour du globe, et proposons régulièrement des places pour ceux et celles qui ont le temps et l’envie de découvrir ce mode de vie. De manière générale un minimum de 2-3 mois à bord est requis pour pouvoir profiter de l’expérience. Il faut du temps pour découvrir le bateau, l’équipage, les différents moments du voyage (navigations, mouillages, météos, explorations, réparations…) et ainsi découvrir les différentes facettes de ce mode de vie.
Il s’agit d’un projet à but non lucratif mais une participation à la caisse de bord est demandée pour pouvoir maintenir le bateau en état.
Tout est détaillé sur le site www.karaka.org
Durant certaines périodes où l’on ne navigue pas, il arrive que l’on accueille des voyageurs via couchsurfing.com (« Ketch Karaka »). C’est l’occasion de découvrir le bateau pour 2-3 nuits.
- Dessalinisateur : Appareil permettant d’enlever le sel de l’eau de mer afin de la rendre potable.
Solenne
20 septembre 2019 at 17 h 28 minBelle expérience humaine… qui n’est pas à la portée de chacun, celà dit. Même si on rêve tous d’autre chose, de plages blanches et d’océan à 360 degrés, sommes-nous tous prêts à faire les concessions et les choix qu’elle a fait?
Mais c’est formidable d’avoir su s’écouter si jeune et de s’être offert les moyens de cette vie là.