Développement, ENTREPRENDRE, VIVRE SLOW

Donner son temps

Je me rappelle encore de ce cours en école de commerce. En fait non, je ne me rappelle plus vraiment sur quel thème nous étions sensés travailler ce jour-là. Je me souviens par contre que je préparais mon plan de table pour mon mariage sur Excel, que le prof s’était interrogé de la nécessité d’un ordinateur sur ma table pendant son cours… En me mariant deux mois après la fin programmée de mes études, j’avais peu de temps pour que tout soit bouclé… J’étais finalement en pleine application concrète de mon trimestre précédent sur la gestion de projets, vous comprenez… Je sais qu’il s’agissait d’un intervenant extérieur qui vraisemblablement venait de se faire licencier – si on lisait entre les lignes de son discours bien trop honnête – et qui avait bien fait rire les étudiants de mon groupe en nous disant à nous, futurs bac+5 et managers de la Terre, qu’il ne fallait pas avoir peur de travailler gratuitement. Vu le prix de l’école que nous comptions bien amortir et rentabiliser à vie, véritable investissement sur nous-même, vu ce qu’on touchait déjà en stage sans même être diplômés, il était fort à parier que nous n’avions pas pour ambition de compter les pâquerettes une fois sur le marché et que notre réussite se compterait indéniablement en K€. Et pourtant, je me rappelle avoir sorti les yeux de mon écran pour écouter la suite, du moins les quelques phrases d’explication qui avaient suivi cette annonce. Il nous recommandait de proposer notre aide et notre temps pour découvrir un autre métier, une autre compétence…  Il nous disait qu’il viendrait un moment où une tel raisonnement pourrait devenir opportun dans notre parcours professionnel, qu’il n’y avait rien de mieux que de faire soi-même pour apprendre. Je ne savais pas pourquoi il avait raison mais je savais que son discours était vrai, qu’il parlait de son expérience, que c’était du vécu… Il nous parlait indirectement de ce qui nous attendrait, du licenciement qui nous connaitrions tous un jour, plus ou moins rapidement selon les cas, il n’était pas devin non plus. J’ai des amis qui ont été licenciés dans les 3 ans qui ont suivi l’obtention de leur diplôme, pour ma part j’ai tenu 5 ans… pas beaucoup mieux. Il nous disait finalement qu’il n’y avait pas qu’un chemin, que notre avenir n’était pas tout tracé contrairement à ce que nous aurions pu croire du haut de nos 25 ans à peine, que tout était encore à faire alors que nous pensions déjà avoir fait nos preuves sur le campus.

Je me rappelle de son exemple précis : “Imaginons que vous ayez envie de partir travailler dans le bâtiment ?  Proposez votre aide et votre temps sur un chantier pour voir comment ça se passe. Vous vous ferez alors une idée de ce que cela implique, si ce nouveau métier vous correspond, au pire des cas cela ne vous conviendra pas, vous n’aurez perdu que votre temps mais vous aurez appris quelque chose de nouveau gratuitement”. Le concept de l’apprentissage gratuit évoqué dans le contexte d’une école payante pour laquelle plusieurs des étudiants présents ce jour-là avaient contracté des emprunts – moi y compris –  semblait une pure aberration et pourtant l’idée n’était pas nouvelle. Bon nombre de mes camarades partaient en mission humanitaire pour « voir le monde », « donner un peu d’eux » et puis ça leur « faisait une belle expérience » pendant laquelle ils avaient « beaucoup appris sur eux-mêmes ». Difficile cependant de nous imaginer sortir de l’école et d’aller bosser sans contrepartie financière. Et pourtant vendredi dernier, ironie du sort ou vérité annoncée, je revenais bénévolement dans mon école en tant que jury pour faire passer les entretiens de motivation aux jeunes souhaitant rejoindre l’un des programmes. Le professeur à qui j’étais associée et dont la tâche des oraux d’admission fait partie de ces missions annuelles, s’est étonné de savoir que je venais passer l’après-midi gracieusement. Je lui ai répondu qu’étant formatrice, j’aimais le contact avec les étudiants, que les miens étaient adultes et que de changer un peu d’audience, en m’adressant notamment à des candidats tout juste, voire pas encore, majeurs me permettaient de sortir de ma zone de confort et d’expérimenter quelque chose de nouveau. Les candidats rencontrés ont été en l’occurrence particulièrement intéressants pour ne pas dire brillants. Je suis ressortie bluffée des échanges que j’ai pu avoir avec certains. Je me suis assise en voiture et je me suis dit que j’avais limite pris une claque ou tout du moins un vrai shoot de jeunesse en trois heures sur ma chaise. C’est à ce moment-là que m’est venue l’idée de vous écrire sur le sujet. C’est à ce moment-là aussi que les paroles du prof pas prof de l’époque me sont revenues. Je vivais ce dont il nous avait parlé et j’aimais ça. En réfléchissant encore, je me suis rendue compte que donner mon temps gratuitement, je le faisais depuis longtemps, que les initiatives non rémunérées ne me rebutaient pas : en juin dernier j’ai organisé une expo photo sur le thème des Entrepreneuses Créatives Normandes. Beaucoup m’ont posé la question : « Et tu es payée pour tout coordonner comme cela ? ». Euh non. Mais j’ai fait parler de moi et de mon travail dans la presse à travers ce projet, j’ai rencontré de futurs clients, j’ai noué des relations fortes avec un réseau de créatrices pour lequel je suis intervenue en formation dernièrement dans le cadre du mois de l’entreprenariat créatif lancé par Etsy. Ça ne m’a pas servi à rien bien au contraire.

Des exemples j’en ai d’autres mais je pense avoir assez parlé de moi car le but ici c’est de vous démontrer que tout ne se paie pas en argent et que les gratifications peuvent être d’une toute autre nature. Bien entendu je ne vous parle pas de vous engager dans un plein temps bénévole (quoique le choix vous appartient) mais de considérer votre temps comme une monnaie d’échange. Travailler gratuitement pourra en effet vous permettre de vous former, de vous ressourcer, de vous sortir d’un quotidien peut-être trop bien rôdé, de vous inspirer bref vous y trouverez forcément votre compte. Au moment où j’écris cet article, un technicien est en train d’installer la box internet et il a vraisemblablement envie de parler ce matin. Il a rejoint l’entreprise pour laquelle il travaille il y a deux ans et avait déjà travaillé pour eux il y a douze ans. Curieuse comme je suis, je lui ai demandé ce qu’il avait donc fait pendant tout ce temps. Il était responsable d’un rayon animalerie et a eu envie de changer par manque d’évolution salariale possible. Etant resté en contact avec son ancien responsable, il lui a demandé s’il pouvait effectuer une semaine bénévole dans les services et sur le terrain pour voir si le job lui plairait à nouveau, les technologies ayant bien changé depuis. Il m’a dit qu’il était peut-être un peu « bizarre » de faire ça sans être payé mais que son but à lui était de voir si ce nouveau poste lui correspondrait, si c’était ça qu’il voulait vraiment. Il n’était pas encore question de parler salaire ou autre, il voulait juste savoir. On aurait dit un vrai signe (du ciel ?) qu’il me parle de cela au même moment que je m’étais décidée à rédiger ce post…

Je n’étais donc pas la seule à raisonner de la sorte. Certes, poussée à l’extrême une telle logique de permettrait pas de subvenir financièrement à ses besoins mais dans une optique de bénéfices personnels ponctuels, décider de consacrer volontairement son temps à un projet ou une cause ne peut-être qu’une expérience enrichissante. J’irai même plus loin en qualifiant cette démarche de nécessaire et ce, quelle que soit notre situation professionnelle et personnelle. Le salarié comme l’entrepreneur ont cette tendance à ne voir qu’eux : leur poste ou leur entreprise, leur intérêt avant tout et pourtant en travaillant gratuitement avec d’autres ou pour d’autres, on apprend tellement sur soi et pour soi. Les initiatives cherchant des bénévoles ne manquent pas et si une telle expérience altruiste vous tente voici quelques idées pour commencer. Pour rester dans le domaine de l’entreprenariat que j’affectionne particulièrement, vous le savez, le réseau 100 000 entrepreneurs vous propose de transmettre la culture d’entreprendre en intervenant dans des lycées près de chez vous. Dans le même domaine, l’association du Moovje recherche des mentors pour accompagner de jeunes entrepreneurs. Le mentorat est un rôle que j’ai eu le plaisir d’endosser il y a quelques mois auprès d’étudiants en toute fin d’école de commerce et que je ne peux que vous recommander (en tant que mentor ou mentoré d’ailleurs). Il existe par ailleurs le réseau des mampreneurs qui a besoin de relais locaux pour exister et organiser régulièrement des rencontres entre mamans chefs d’entreprise.

Ce système est repris par les grandes plateforme de vente pour créateurs pour animer et former leurs communautés, telle qu’Etsy qui recrute des capitaines de Teams en local. Céline Voisin est co-capitaine de la Team Etsy Normandie et au pourquoi avoir endossé cette casquette elle répond : “C’est tombé à un moment où j’avais envie de relancer ma boutique Etsy. Je voulais tout reprendre à zéro. Tout comprendre de cette plateforme, pour pouvoir l’utiliser correctement. Cela m’a boosté. J’ai mis les mains dans le camboui. Ma nouvelle boutique n’est pas encore au point, mais en discutant avec les autres vendeurs, comme eux, j’avance mon projet. Être capitaine, c’est être bénévole et ça prend du temps. Mais c’est du plaisir, des rencontres, des découvertes. Et j’adore l’échange, l’entraide. Je ne fonctionne que comme ça depuis de nombreuses années. Faire partie d’Etsy, c’est faire partie d’une communauté. Le rendez-vous des Capitaines, organisé une fois par an par l’équipe Etsy France, permet également de voir comment les autres teams fonctionnent. Ce qu’elles proposent à leurs membres. Et aussi comment les autres capitaines gèrent leur temps team/boutique. Bref, c’est du boulot, mais du bonheur.

Il ya aussi toutes ces associations locales qui animent la vie culturelle et économique de votre lieu de vie. Bon nombre de ces associations peuvent exister et survivre grâce aux dons d’argent mais aussi de temps. Sandrine avec qui je co-écris nos livres aux éditions Eyrolles  a récemment rejoint l’association Webassoc, qui a pour objectif de mettre en relation des professionnels du web bénévoles et des associations de solidarité. Ces dernières souhaitent, comme les entreprises, utiliser le digital pour se développer mais n’ont pas forcément les compétences ni les ressources financières pour faire les bons choix stratégiques et opérationnels. Sandrine consacre en moyenne 1 journée/mois de son temps, réparti entre la présence aux événements que nous organisons (ateliers, brainstormings, conférences…), les échanges avec les autres permanents, les associations que nous aidons, et les pros du web que nous sollicitons pour intervenir auprès de ces associations. Cela faisait un moment qu’elle avait envie de s’impliquer dans une activité bénévole. Elle précise : “j’étais arrivée à un moment où j’avais trouvé un équilibre dans ma vie personnelle et mon activité professionnelle, qui me permettait de dégager un peu de temps pour cet engagement citoyen. J’ai la conviction profonde que l’on ne peut/doit pas tout attendre ni des politiques ni des entreprises pour construire un monde meilleur, et que c’est à chacun d’entre nous d’adopter de s’engager au quotidien pour que ça change. D’un point de vue personnel, je retire de ces deux activités associatives la satisfaction de mettre en application cette conviction (c’est bon pour le moral, surtout quant le climat politique se montre si désespérant), mais aussi des rencontres et des moments très conviviaux avec de chouettes personnes, qui partagent les mêmes valeurs et les mêmes objectifs que moi. C’est également très enrichissante d’un point de vue professionnel: en tant que consultante et intervenante pro dans l’enseignement supérieur, je travaille principalement seule. Quel plaisir de pouvoir de nouveau travailler en équipe, sur des projets différents de ceux sur lesquels j’interviens habituellement! Je suis amenée à développer de nouvelles compétences (notamment dans l’organisation d’événements, la communication interne et le networking) et à découvrir de nouveaux outils collaboratifs pour travailler à distance. Ces engagements bénévoles me permettent de développer mon réseau professionnel de manière extraordinaire, en me donnant l’occasion de rencontrer des acteurs beaucoup plus divers que ceux que j’ai l’habitude de rencontrer, et en facilitant les échanges (il est plus facile et plus gratifiant de rencontrer ces acteurs lorsque l’on n’a rien à leur “vendre” mais qu’il s’agit de collaborer pour une juste cause).

C’est via Sandrine aussi que j’ai découvert le principe de ventes en rassemblement de producteurs locaux pour s’alimenter de façon plus saine et responsable : La Ruche qui dit Oui. Vous pouvez bénévolement ouvrir votre proche Ruche et organiser toutes les semaines la collecte et la distribution des produits locaux des producteurs participants. C’est une initiative que Claire (personne interviewée dans notre prochain livre toujours aux ed. Eyrolles : Créer sa marque et son identité) a menée quelques années avant de monter son premier magasin de producteurs normands près de Rouen (le Local). Cette action bénévole lui a permis de défendre ses valeurs et de réaliser aussi qu’elle pouvait aller plus loin dans sa démarche. Son projet de magasin a vu le jour et fonctionne tellement bien qu’un autre ouvrira prochainement au Havre. Donner son temps n’est finalement pas aussi facile que donner de l’agent mais tellement plus gratifiant (pour ma part je crois que le volume horaire de bénévolat par année avoisine la dizaine de journées de 8 heures) mais voilà le temps, nous ne pensons jamais en avoir assez. Il est cependant possible d’aider à son échelle en ne donnant qu’un tout petit peu de temps par ici et par là sans avoir à y passer ses nuits ou ses week-ends, c’est le principe du Crowdtiming (inspiré du crowdfunding). Vous trouverez ainsi de chouettes de projets bénévoles à rejoindre sur la plate-forme Fullmobs ou encore Jamaa.

Alors si après ce très long post, je vous ai donné envie vous de vous engager auprès d’une cause qui vous parle mais  que vous ne savez pas ni où ni comment vous y prendre, sachez que vous trouverez sur le site France Bénévolat une liste bien conséquente d’actions qui attendent l’aide de bénévoles sur tout le territoire. Parmi elles, il y a ces causes qui me touchent plus particulièrement : la Ligue de Protection des Oiseaux propose de belles initiatives que vous pourrez d’ailleurs faire avec vos enfants (je vous recommande au passage le livre Les Oiseaux aux ed. Rustica) ou l’animation créative en milieu hospitalier avec Les blouses roses, et puis encore l’événement annuel Des tulipes contre le cancer (dont vous retrouverez mes photos ici). Et puis enfin tout simplement, ouvrez les yeux  : autour de vous, lisez les annonces et les affiches chez vos commerçants, le journal local ou le magazine de votre commune, les appels à projets y sont souvent nombreux. Tentez l’expérience rien qu’une fois, pour voir…

2 Commentaires

  1. Marie-Maguelone

    5 mai 2017 at 18 h 43 min

    Hello
    C’est long mais très intéressant ! Je donne mon temps dans les associations de parents d’élèves et mes compétences parfois pour créer des documents ! La vie associative est gratuite mais tellement enrichissante ! Depuis plus de 15 ans, je suis parent d’élève active et j’aime cela ! Nous permettons la location de livres, nous assistons aux conseils de classe, nous représentons les élèves et les parents au sein des écoles et auprès du rectorat. C’est compliqué parfois mais je ne regrette pas ces 15 années, car oui j’ai appris plein de choses, comme me servir de Doodle ! (c’était du chinois malgré mes compétences informatiques!!) J’ai fais des rencontres et oui le réseau est super important. Maintenant que je donne des cours dans les écoles, mon réseau me sert à trouver des créneaux et des clients pour mes créations ! Tu as entièrement raison, on ressort toujours grandie d’une intervention bénévole, non rémunérée !
    Bon courage pour la suite et bon week-end !

  2. Caroline

    8 juillet 2017 at 3 h 11 min

    Moi je le découvre en voyageant. Cela fait 2 ans et demi que j’ai quitté mon travail en agence de communication pour voyager en Océanie et en Amérique du sud vivant de petits boulots dans l’hospitalité principalement et de volontariats. J’ai complètement changé ma manière de consommer, et je dépense mes économies au lieu de les gonfler, mais je me sens tellement plus riche, et je reçois tellement des gens que je rencontre que cela me permet de continuer ce mode de vie dans lequel je m’épanouis tant. Tu as bien raison, nous devons faire bouger les choses au lieu de déprimer de notre gouvernement en boule dans notre canapé. Tenter c’est de l’énergie, qui nous est rendue x1000 et nous permet de continuer ce chemin épanouissant.
    Moi j’essaie de motiver les gens à se lancer dans leurs désirs de voyage en interviewant des voyageurs que je rencontre en chemin, ce blog est ma tentative de créer un monde meilleur, car je pense que le voyage ouvre l’esprit et rapproche les humains.
    http://portraitsoftravel.wordpress.com
    Merci pour ton joli texte !

Répondre à Caroline Annuler

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.