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Mieux se connaître : à travers la douleur physique

En mai dernier, je m’apprêtais à faire un voyage que je n’avais pas bien préparé. Cela faisait pourtant six mois que j’aidais ma marraine à vider son appartement près de chez moi. L’heure de sa retraite étant arrivée, il lui fallait quitter son logement qu’elle avait pris il y a déjà plus de dix ans en Normandie, alors qu’elle se séparait de son conjoint. Sa maison dans le sud l’attendait depuis, et le moment était venu pour elle de repartir vers son vrai chez elle. Je l’ai donc aidée du mieux que je pouvais, aider à tout trier, à tout ranger, à tout vider… un déménagement en sommes, mais un déracinement pour moi en réalité. Je n’ai pas réalisé tout de suite, trop occupée à remplir mon coffre de voiture de ses objets inutiles qui ne lui serviraient plus une fois arrivée là-bas.

 

J’ai donné ses livres, ses vêtements en trop, vendu sur le bon coin ses meubles en double, tout ce qu’elle avait déjà là-bas, tout ce qui ne lui servirait pas, tout ce qui n’avait pas sa place dans le petit camion de déménagement qu’elle avait trouvé. On s’est débrouillé toutes les deux, le week-end, le samedi ou le dimanche matin, parfois les deux. Mes enfants ont aidé aussi, des fois en râlant, des fois tristes de comprendre son départ approchant. Il n’y avait pas d’autres week-ends que celui de la fête des mères pour la redescendre dans les Landes. J’ai déposé les enfants à l’école le vendredi matin, ma marraine a fait son dernier sac, chargé sa voiture et nous sommes parties. C’est en chemin seulement que j’ai réalisé ce qui m’attendait. Je partais avec elle mais je remonterais seule. J’avais pourtant pris mes billets, j’aurais du réaliser plus tôt, je crois que je n’ai pas voulu.

Nous sommes arrivées sur place non sans embouteillage, non sans fatigue. Elle a du fumer toutes les cigarettes de la Terre en route mais ça ne m’a pas gênée. On a parlé de tout et de rien. De ce qui nous rend malheureuse, chacune à notre façon. On a insulté les autres, parce qu’elle peut être aussi vulgaire que moi quand elle veut. On a repensé à notre voyage à Séville l’année d’avant. On a cherché une autre destination pour l’année prochaine et on n’a pas trouvé. Celle qui nous attendait d’abord était encore un peu loin pour penser à demain. On est arrivé avant la nuit, la maison était un peu triste, vide d’avoir vécu sans personne pendant des semaines. On a posé nos valises et on a ouvert la bouteille qu’on avait emmenée…

Se réveiller à des centaines de kilomètres de chez soi, à quelques centaines de mètres de l’océan, le tout sans enfants, ça avait quelque chose d’irréel. Le temps n’était pas fou mais je suis allée marcher, beaucoup marcher et je me suis promis que je reviendrais bientôt, cette fois avec mes marmots. La journée est passée vite, trop vite. Mon départ était programmé pour le dimanche midi. Nous n’avons pas parlé du lendemain. Elle posait ses valises et ses cartons pour la dernière fois et je n’avais aucune idée de quand je la reverrai. J’ai posé son tableau ramené de Madagascar dans le couloir qui mène à sa chambre et elle a aimé. Il avait trouvé sa place, il lui faudrait encore quelques mois à elle avant de retrouver la sienne.

C’est en sortant de ma douche que c’est arrivé. Bêtement, simplement. J’ai tendu le bras pour attraper la serviette de bain et j’ai senti mon dos se raidir, mes lombaires me déchirer de bas en haut. J’ai rejoint ma chambre, je me suis étirée comme j’ai pu mais c’était sans compter sur les sept heures de voyage et les trois trains qui m’attendaient. C’était sans penser à ce départ sur le quai, à tout ce que j’allais pleurer. Je n’ai rien anticipé de ce moment et ce mal de dos était bien à la hauteur de la séparation physique, une douleur qui me couperait en deux pour longtemps.

Je ne suis pas raisonnable, je n’aime pas l’immobilité, je suis allée travailler et si le mal s’est calmé à coups de patchs chauffants, il est revenu de plus belle après deux semaines. Je ne me suis pas écoutée, j’ai forcé, n’écoutant pas les messages que mon corps m’envoyait pourtant si violemment. Je me suis retrouvée immobilisée un matin, impossible de bouger, coincée dans mon lit. Incapable. Le mal du dos, le mal du siècle. Mais quand, comme moi, on a perdu son père d’un cancer, on apprend à ne pas se plaindre, on ne laisse aucun mal nous diminuer, on sait qu’aucune douleur ne vaut sa souffrance, à lui. A force de relativiser, à me convaincre que je n’avais pas mal, j’ai oublié que je souffrais, pourquoi je souffrais. Les maux naissent de contrariétés, et pourtant ça je le savais.

Cela fera bientôt trois mois que ce week-end est passé. Trois mois que je fais attention à chaque mouvement. J’ai enchaîné les séances d’ostéo, d’acuponcture, de balnéo et de kiné. J’ai avalé bien trop de comprimés, j’ai eu plusieurs absences, je me suis tartinée de crème anti-inflammatoire et je me suis brûlée le dos chaque matin sur le sèche-serviette de la salle de bain du bas. J’ai eu tellement mal qu’aujourd’hui je crains le jour où cela m’arrivera à nouveau. J’ai eu tellement mal que j’ai n’a pas eu d’autres choix que de ralentir. Je n’ai pas choisi cette vitesse imposée. J’enchaînais les pas comme on ré-apprend à marcher. J’ai appris que rien ne servait de courir puisque je ne pouvais de toute façon plus le faire.

Je continue à dire que ma douleur n’est rien à côté de celle de bien d’autres. Mais relativiser ne m’a pas aidée. Accepter ma douleur, en comprendre la cause, physique et psychique, prendre le temps de me soigner, de me re-muscler pour pouvoir continuer d’avancer sont les trois leçons que cette expérience pénible m’aura apprises. Le déchirement fait partie de la vie comme le dit si bien Frédéric Lenoir dans son Petit Traité de Vie Intérieure (éditions Pocket – 14698) : “Le déchirement de la rupture (…) est le prix à payer de l’amour. C’est un prix élevé, mais il semble nécessaire de l’accepter lucidement pour vivre de manière pleine”.

4 Commentaires

  1. Estampapier

    13 août 2019 at 9 h 20 min

    Bienheureuse douleur oserais-je dire… Celle qui apprend à s’écouter. Notre corps, notre cœur et notre âme forment un tout. Je réalise combien il est difficile pour chacun de nous de s’écouter (moi la première) mais notre époque formidable nous ouvre tant de nouveaux horizons dans la connaissance de soi.
    Merci pour ce beau témoignage et bon courage !

  2. Solenne

    20 septembre 2019 at 15 h 09 min

    Un soignant m’a dit un jour “un unijambiste trouvera toujours un cul-de-jatte pour lui prouver qu’il y a toujours pire que sa propre situation; et pourtant chaque douleur a le droit d’être énoncée, chaque douleur se doit d’être entendue.”
    Je crois qu’une douleur c’est souvent comme une émotion, elle se vit mieux si on l’écoute, si on la dit et la verbalise et si on l’accepte.
    Mais c’est tellement plus facile à dire qu’à faire!!!
    Prenez soin de vous, et bon courage.

    1. Sophie-Charlotte

      30 décembre 2019 at 14 h 04 min

      merci beaucoup Solenne, belle année 2020 à vous !

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