Développement, ENTREPRENDRE

BURN-OUT CREATIF : LES SIGNES

Cela fait maintenant presque neuf ans que je m’intéresse de près à l’entrepreneuriat féminin et plus particulièrement créatif. Au cours de ces années, j’ai souvent éprouvé un sentiment de peur. Je n’avais pas peur pour moi, non. J’avais peur pour les autres. J’avais peur de les encourager à vivre de leur créativité en leur montrant que d’autres tentaient leur chance, en leur expliquant comment faire, en leur donnant de conseils, en les accompagnant…  J’ai vu des salariées plaquer leur boulot pour se lancer à leur compte, sans préparation, sans étude préalable… et me demander comment les choses allaient tourner pour elles. Se rendraient compte trop tôt ou trop tard que l’aventure était en fait assez dure…

La réalité de la créativité

J’ai la chance d’avoir un conjoint qui fournit la stabilité financière nécessaire aux besoins de notre famille. Les aléas de la vie d’une entrepreneuse m’affectent donc moins mentalement que d’autres et j’en suis bien consciente. C’est aussi pour cela que je m’interroge toujours sur l’avenir réservé à celles qui tentent leur chance. J’avais dans un passé proche essayé en vain de permettre à des entrepreneuses d’accéder à la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) pour leur permettre de convertir leurs années d’entrepreneuriat en un diplôme bac+3 pour les aider dans la suite de leur carrière, notamment si elles souhaitent retrouver un emploi salarié. Reste-t-on à son compte toute sa vie ? Le système français nous le permettra-t-il ? Mes interrogations sont nombreuses et mon inquiétude réelle.

J’ai vu des entrepreneuses essayer, tomber, se relever, recommencer et s’accrocher. Je me suis demandée si cela était finalement bien, si tout en valait la peine. Cela m’a particulièrement frappé quand Sandrine et moi avons remis notre best-seller “Vendre et mettre en avant ses créations” (aux éditions Eyrolles) à jour pour sa troisième édition. Nombreux témoignages ont du être changés car ils n’étaient plus d’actualité et pour certains parce que les créatrices avaient notamment fermé boutique.  Et si nous n’en connaissions pas toujours la raison (un divorce, une maladie, un manque de revenus…) il est toujours triste de voir disparaitre une marque créative, aussi petite soit-elle. Mais outre l’aspect financier qui pèse toujours beaucoup dans la balance, il y a aussi un autre aspect plus insidieux. Vivre de sa créativité peut vous en dégoûter. Avoir une passion créative est en effet bien différent quand on la monétise.

J’ai vu des entrepreneuses annoncer leur retraite, mettre leur profil Linkedin à jour et rechercher un emploi salarié. En échangeant avec elles, j’ai compris combien leur créativité les avait épuisées. J’ai alors réalisé que, comme pour tout travail, l’exploitation excessive de ses ressources personnelles peut conduire au burn-out, même quand on aime ce qu’on fait, même qu’on a décidé soi-même de travailler pour soi. J’ai connu la dépression et je pense avoir frôlé le burn-out. Ce sont des sujets connus chez les employés, certainement moins chez les indépendants. Parce qu’elles sont seules à entreprendre, je crois le risque plus pervers. Comment se rendre compte sans des collègues autour qu’on perd pied et que notre créativité est en train de nous attaquer de l’intérieur ? C’est pour répondre à cette question que j’ai voulu écrire cet article, pour essayer du mieux que je peux de sensibiliser celles qui me lisent aux signes qui peuvent prévenir d’un “burn-out créatif”.

Les signes du burn-out créatif

Quand on s’installe entrepreneuse créative, on ne s’attend pas toujours à ce que la création ne représente qu’une petite partie de son travail. Ne plus avoir de temps pour créer du tout est peut-être le premier signe à guetter. Ne plus créer pour soi par faute de temps arrive souvent, ne plus créer pour soi ou son entourage par manque d’envie est un peu plus inquiétant. Quand le plaisir de l’acte manuel disparait, il est temps de se poser les bonnes questions : suis-je dégoûtée par mon activité ? ma passion est devenue mon travail mais mon travail est-il toujours ma passion ? Nous choisissons aussi cette vie professionnelle pour pouvoir nous occuper de notre famille, mais rapidement une problématique similaire s’installe : il est difficile de jongler entre eux et notre travail. Quand nous commençons à le leur reprocher, à les accuser dans notre tête qu’ils sont la raison nous empêchant de faire mieux, alors la prise de conscience sera bénéfique. Les pauses et les vacances sont aussi nécessaire pour éviter de rajouter à notre charge mentale familiale et le problème avec le net est qu’il est désormais possible de travailler 7j/7 jour et nuit sans jamais se déconnecter. Si vos pensées sont accaparées par votre business créatif, que vous n’arrivez plus à profiter de l’instant présent, alors le burn-out créatif peut vous guetter. Cela peut aussi être du au fait que vous n’arrivez pas à dire “non”. Voir son carnet de commandes se remplir est excitant, challengeant mais peut s’avérer aussi dangereux que l’eau du bain qui monte, monte jusqu’à déborder quand il est trop tard… La spirale peut vite s’aggraver : ne pas réussir par manque de temps à honorer des engagements, se sentir nulle, mettre en cause sa créativité et sa crédibilité en tant qu’entrepreneuse….

Notre créativité ne devrait pas nous consumez (burn-out en anglais) mais bien nous nourrir et nous aider. Si vous vous reconnaissez dans cette description, n’hésitez pas à témoigner en commentaire. Je consacrerai un autre article à ce sujet en essayant d’apporter des pistes de réflexions ou d’actions pour éviter ce burn-out créatif ou s’il est trop tard, pour s’en remettre et retrouvez une créativité apaisée…

8 Commentaires

  1. Aline - Graphiste auteure

    17 février 2019 at 21 h 41 min

    Je pense que quand le carnet de commande commence à trop se remplir, c’est qu’il faut augmenter ses prix! J’ai vu une créatrice talentueuse avec des prix très bas et qui avait tellement de commandes qu’elles n’arrivaient pas à les honorer et avait fini par fermer boutique… =S
    Sinon, je suis d’accord, c’est difficile quand notre passion devient notre travail… c’est pourquoi il est important d’avoir des passions qui ne sont pas connectées au travail, histoire de se reposer le cerveau!

  2. Estampapier

    17 février 2019 at 21 h 42 min

    Merci pour cet article éclairant.
    Je n’ai encore jamais ressenti les symptômes décris. Il y a sûrement plusieurs raisons, mais je suis consciente que l’équilibre est fragile.

  3. Ingrid H

    17 février 2019 at 22 h 05 min

    Merci pour cet article, le sujet méritait bien cette analyse !
    Personnellement, j’ai fait le choix de la création après un burn out professionnel et j’ai conscience du risque. Je serais sûrement plus attentive du fait de mon vécu. Je m’ecoute plus aujourd’hui qu’auparant. Cela fait ma force et me permets de maîtriser au mieux mon rythme de mumpreneur :p

  4. Olivia fenouil

    17 février 2019 at 23 h 10 min

    Merci pour votre article! Je préciserai même, quand on a déjà fait un burn out et bien on est susceptible d’en refaire un !! Si certaines choses ne sont pas réglées…. Pour ma part, je quitte un travail de fonctionnaire pour me lancer dans mon entreprise créative car je n’ai pas d’autre voix, c’est ma vocation… Le plus dur pour moi a été d’accepter de ne plus avoir de salaire en fin de mois, plus de congés payés et RTT, ne pas compter sur un arrêt maladie….. Par contre, ayant été syndiquée et concernée, je m’applique des temps de pause, des congés que je booke assez tôt sinon je ne pars pas en vacances, parce que j’ai du travail et comme c’est ma passion…. J’ai dû expliquer, et re expliquer à mon fils de 7 ans, que je travaillais à l’atelier ou à la maison, que mon travail c’était souvent de dessiner, mais que non je ne m’amusais pas et que j’irai le chercher après 18h. Savoir dire non, aux amies aussi qui me demandent un service comme par exemple allez faire une course au bout de la ligne de métro alors que j’habite à l’opposé…. J’ai accepté une fois, 2 fois, pour me sentir moins isolée sûrement…. Maintenant je refuse. Je débute dans l’entreprenariat alors le gros point positif c’est que je gère encore mon emploi du temps et ma compta est allégée.
    Ce que j’ai appris aussi en démissionnant de la Fonction publique (oui beaucoup plus long et contraignant que dans le privé) et que me sert beaucoup maintenant, c’est à lâcher du lest ! Et à respirer aussi !

  5. Jijihook

    18 février 2019 at 9 h 02 min

    Tellement intéressant et bien écrit ! Voilà maintenant plus d’un an que je vis à 100% de mon activité et tout ce que tu décris me semble totalement possible si on ne prend jamais le temps de se poser. Les échecs sont nombreux dans la vie d’entrepreneuse, les réussites aussi, comme dans la vraie vie quoi 🙂 Personnellement je dédie plus d’une heure chaque jour à un vrai recentrage pour savoir où je vais, pourquoi je fais ce que je fais et être sûre que ça me plait toujours. Si ça ne me plait plus je n’hesite pas à revoir mes projets et les transformer. En tant qu’entrepreneuse j’estime que je suis mon propre produit et que sans prendre soin de moi je ne tiendrai pas longtemps c’est sûr. Je me fais aussi accompagner par des coachs et je pense que je n’aurais jamais accompli ce pari fou toute seule, ou sinon au prix de beaucoup d’energie dépensée inutilement. J’adhère tellement à ce que tu dis sur le fait que quitter son emploi n’est pas une décision anodine et nécessite préparation et accompagnement, au moins au début. Merci en tous cas pour cette piqûre de rappel, cela dit je suis de celles qui pensent que ça vaut la peine de vivre son rêve à fond, et s’autoriser aussi à fermer boutique le jour où on a de nouveaux rêves, sans se sentir enchaîné à son activité 💕 je pense qu’il y en a aussi qui ferment juste parce qu’elles ont fait le tour et veulent vivre de nouvelles aventures

  6. Julie

    19 février 2019 at 6 h 13 min

    J’avais épinglé ton article sur Instagram pour le lire quand j’avais le temps. Merci d’avoir parlé de ce sujet. Je me rends compte que je ne suis pas la seule à me sentir en décalage entre mon travail et le reste. Et rien que le fait de ne pas me sentir seule fait beaucoup de bien. Merci!

  7. Agnès

    12 février 2020 at 13 h 27 min

    Bonjour, j’aimerais apporter de l’eau à ce moulin. Cela fait 15 ans que je suis graphiste et de temps en temps artiste. Ces deux activités ont rempli ma vie et mes journées et m’ont apporté énormément de joies et de challenge, tout en créant aussi beaucoup de frustrations et de désillusions. De réussites en échecs, j’ai construit mon studio graphique, j’ai même eu une collaboratrice adorée pendant 10 ans. Et puis, j’ai perdu l’être cher avec qui je vivais depuis 20 ans. Tous mes repères ont explosé en vol. D’abord, je me suis jetée à corps perdu dans la création, mais au bout de 8 mois, il ne restait plus rien. J’étais totalement à sec. Plus de jus, plus de fuel. La machine était à l’agonie. les commandes se sont raréfiées, j’ai du me séparer de ma collaboratrice. Et j’ai refait ma vie. En me disant qu’il y avait là probablement, une opportunité à saisir, quelque chose à réorganiser. Mais depuis 2 ans, heureuse en couple, je suis désespérée au boulot. Rien ne me satisfait, je ne suis heureuse d’aucune de mes créations. Disons que je suis heureuse au moment où je les fais et puis… Pfiou ! Ca reste dans un coin, ça ne trouve pas de forme, ça ne se développe pas. Je me sens alors coupable et désemparée. Et c’est très douloureux. J’ai parfois l’impression d’avoir régressé. Alors bien sur, je fais la liste de mes réussites, je m’autocongratule pour tout ce qui a été fait… Mais rien n’y fait. Le burn out créatif, c’est aussi cela… Perdre ses repères en route… Ne plus savoir pourquoi on fait les choses, ne plus y trouver de plaisir, ne pas réussir à reconstruire… Savoir qu’on a quelque chose en soi, qui ne demande qu’à sortir, mais qui ne trouve plus son chemin. Pour essayer de sortir de ce cercle vicieux, j’ai changé de médiums, de techniques, tenter d’autres approches. Mais j’en suis aujourd’hui arrivée à la conclusion que seul le temps peut venir à bout de ce découragement… Il faut donc s’armer de patience… Et travailler à soigner l’intérieur. Ce qui autrefois me permettait de me soigner étant désormais ce qui m’empoisonne, je ne peux que regarder la chose se faire… Voilà… C’est pas très gai. Mais je reste optimiste. Je me dis qu’à un moment, assurément, je vais retrouver le chemin de ma créativité et réapprendre à l’accueillir plutôt qu’à la meurtrir… Mais c’est long !

    1. Sophie-Charlotte

      12 février 2020 at 21 h 58 min

      merci pour votre témoignage qui vient très bien compléter l’article et qui pourra je l espère résonner chez d autres femmes dans votre cas…

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